On en parle souvent dans la presse spécialisée, dans les radios, à la machine à café ou sur les blogs : certaines entreprises créent artificiellement la pénurie autour de leurs produits afin d’y ajouter la valeur de la rareté. Sur le banc des accusés : Apple, Sony, Microsoft, Nintendo,…
Je crois que beaucoup de monde à mis le doigt sur le fait que la pénurie bien gérée peut se révéler un bon instrument marketing. Mais ils font souvent l’erreur de croire que cet instrument marketing est la cause intrinsèque de la pénurie. A mon avis ce n’est pas le cas.
La pénurie est causée en premier lieu par la gestion des risques financiers liés à la fabrication des produits. Le désir que peut générer la pénurie n’est qu’un épiphénomène de décisions stratégiques industrielles et financières (Qu’elles soient bonnes ou mauvaises).
Quelle dent de la fourchette est la plus pertinente ?
A la création du produit l’entreprise fait des études de marché et de la prospective pour définir le nombre d’unités à fabriquer. Ces études doivent déterminer une fourchette (prévision basse et prévision haute) à l’intérieur de laquelle doit se trouver le chiffre final d’unité produite.
Une fois cette fourchette définie nous allons dire que le marketing s’empare de la prévision haute et la met en avant pour déterminer les objectifs annoncés par l’entreprise. La production, de son coté, se base surtout sur une prévision médiane ou basse pour mettre en place l’outil industriel destiné à fabriquer le produit. Son objectif c’est de ne pas générer des futurs stocks d’invendus.
Nous allons dire que le marketing est optimiste et la production est réaliste voire parfois pessimiste.
Parce que le risque financier lié au lancement d’un produit est bel et majoritairement industriel plus que marketing.
La part des dépenses du marketing par rapport au coûts de fabrication des produits est très limitée dans le prix de revient de l’unité fabriquée. Même si la rupture d’un produit peut coûter cher à l’image de marque d’une entreprise (donc à sa communication) le capital dépensé est principalement immatériel. L’argent dépensé sur la conception et la fabrication d’un produit représente une belle somme en monnaie sonnante et trébuchante. C’est une part non négligeable du capital financier de l’entreprise.
Donc lorsque l’on met en place les moyens industriels nécessaires à la production des produits on doit bien faire attention à l’argent que l’on met sur la table.
Même si le marketing a prévu d’inonder le marché de produit, la production fait bien attention à ne pas fabriquer plus de produits qu’il ne va s’en vendre au final.
Dans le cas d’un échec, l’entreprise va devoir s’asseoir sur certains frais fixes de production qui sont les mêmes quel que soit le nombre d’unités fabriquées (des moules, des outils de production spécifiques, le réglage des machines,…) C’est le ticket d’entrée minimum de la fabrication d’un produit qui doit être rentabilisé avec les ventes de l’estimation financière médiane voire basse dans le meilleurs des cas.
Si le produit est un échec, l’entreprise va essayer de ne pas dépasser les frais engagés par ce ticket d’entrée et va arrêter sa production rapidement.
Dans le cas d’un succès, l’entreprise va devoir gérer sa production sur toute la durée de vie du produit. Elle va s’assurer avant d’acheter un ticket supplémentaire pour augmenter ses capacités de fabrication que le prix du premier ticket est payé. Bref pendant quelques mois il va falloir tenter de satisfaire la demande avec les moyens de production minimum en attendant de pouvoir financièrement parlant mettre en place une augmentation des capacités de production tout en rassurant les financiers sur le fait que l’on va pouvoir rembourser le (ou les) frais fixes supplémentaires).
Pendant ce temps, dans les boutiques il y a plus de demandes que les capacités de production de l’entreprise. C’est donc une pénurie.
Il est évident que le marketing ne va pas dire que l’entreprise n’a pas mis en place des capacité de production suffisante parce-que c’était trop cher et qu’ elle avait peur d’y laisser des plumes si le produit se révèle être une plantade monumentale.
Le marketing fait son travail qui est de communiquer positivement sur le fait que le succès du produit est tel, que l’on ne peut pas pour l’instant servir tout le monde.
Si ce travail de communication lui permet de faire monter le désir autour des produits, en travaillant la clientèle potentielle sur sa vision aristotélicienne de la rareté, tant mieux !
Ceci dit, certaines entreprises peuvent augmenter leur production bien plus rapidement. Ils fabriquent des produits utilisant des composants standardisés sortant d’unité de production déjà rentabilisées. Seuls quelques composants (comme la mémoire, ou le boîtier), le logiciel ou le packaging sont modifiés par rapport aux modèles précédents.
L’adaptation des capacités de production aux nombre de ventes réalisées se fait en quelques semaines, réduisant d’autant les pénuries en magasin, qui passent alors inaperçues. D’autant plus que ces produits n’ont pas généré une attente aussi importante que les produits dont nous parlons ici.
Mais les produits comme ceux d’Apple, de Dyson ou des Consoles de jeux Sony, Nintendo ou Microsoft ne sont pas des produits composés d’éléments standard. Ces produits demandent la fabrication de composants très spécifiques répondant à la problématique industrielle et financière expliquée ci-dessus.
Bref avant d’accuser le marketing de causer la pénurie, réfléchissez au fait que la véritable cause a toutes les raisons d’être plutôt industrielle et financière. Le marketing ne fait que gérer (et peut-être utiliser) la communication autour d’un problème ponctuel dans la vie du produit.
Si cette communication crée de la valeur, c’est que les marketeurs font bien leur travail. Mais je pense qu’en aucun cas la pénurie est sciemment créée pour valoriser un produit.