Il y a quelques jours ECOMblog évoquait la guerre cognitive qui bat son plein dans cette époque de désinformation et d’émergence de l’intelligence artificielle.
Si les IA sont nouvelles, cette bataille pour s’emparer des esprits de la population date de l’antiquité. Aristote théorisait déjà les logos, pathos et ethos nécessaire au combat des idées. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil de l’art de convaincre que nous sommes tous si envieux de posséder (et votre serviteur le premier).
Pourtant c’est devenu un véritable problème ces dernières années avec la multiplication et l’accélération des médiums diffusant l’information. Les points de vue antagonistes se superposent jusqu’à l’overdose, créant un flou cognitif sur les limites du monde réel. Même les sujets de santé publique ou les constats sur le changement climatique sont contestés à grand coup de déni ou de désinformation.
Si l’autobus qui nous transporte fonce vers une falaise vous verrez quelques passagers se lever pour contester que la gravité existe et qu’une chute de hauteur n’est pas une cause suffisante de décès. Il y en aura même pour évoquer un hypothétique miracle qui sauvera ceux qui ont embrassé la bonne religion. Nous sommes collectivement embarqués dans une version grandeur nature de “C’est normal” une chanson de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem datant des années 1970.
En fait, tout ce bruit médiatique est la résultante de diverses méthodes de manipulation. Je n’en ferai pas le tour dans cet article. Si je sujet vous intéresse je vous conseille l’excellent “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” qui est assez exhaustif. Nous allons juste aborder l’un des basiques qui est la polarisation des esprits.
Les choses sont complexes mais pour convaincre je dois simplifier au max.
C’est un fait, pour convaincre un homme vous devez simplifier suffisamment les choses pour imprimer votre argument dans son esprit. C’est la base de la cognition humaine. La boucle phonologique (voir mon article) est extrêmement réduite et plus je m’approche de sa capacité mémorielle et de son mécanisme de répétition, plus mon message s’ancre avec force dans le cerveau de mon interlocuteur.
Ceux qui cherchent à avoir de l’influence ou du pouvoir sur ses contemporains vont donc simplifier leur point de vue à l’extrême pour leur permettre de s’inviter dans votre tête. Il vont tenter également de se rapprocher au plus près des instincts primaires du public en n’hésitant pas à descendre quelques étages de la pyramide de Maslow.
L’un de de ces instincts le plus utilisé est celui le la xénophobie, la peur de l’autre. Accouplé au besoin de sécurité, c’est un puissant outil sur lequel se baser pour générer des convictions. Ce n’est pas un hasard s’il est le levier politique le plus utilisé en ces moments de doute informationnel.
Ensuite on polarise son message. C’est eux ou nous. Le bien contre le mal. Le blanc ou le noir. Et autres catégorisations simplistes aptes à emporter l’adhésion d’un large public. Le manipulateur n’a pas la possibilité de nuancer son message sans atténuer fortement sa force. Dans un environnement compétitif comme le nôtre, faire un message complexe, documenté et nuancé, comme celui que vous êtes en train de lire, est une très mauvaise idée.
Le public est à la recherche d’idées toutes faites.
C’est le cercle vicieux de la manipulation, la cible veut inconsciemment être manipulée. Penser sérieusement à un sujet demande une dépense d’énergie que la majorité d’entre-nous refuse de faire. Imaginez par exemple que vous deviez décider par vous même si l’existence de dieu est avérée ? C’est un vaste sujet qui va vous demander d’y réfléchir à tête reposée pendant plusieurs heures, plusieurs jours, voire plusieurs années. Un effort que vous pouvez vous épargner en adoptant le point de vue de quelqu’un d’autre. En espérant que lui-même ai fait ce travail d’analyse que vous vous refusez à faire.
Alors nous voici à la recherche, lorsqu’on nous demande ce que nous pensons d’un sujet, des opinions que nous avons rencontré dernièrement. Nous répétons ce que nous considérons comme le meilleur point de vue. On appelle ça avec justesse : une idée reçue.
En répétant ce qu’il a enregistré, le manipulé devient manipulateur à son tour et permet aux idées les plus simples de se propager comme un feu de forêt. Il dispense une communication qu’il n’a pas réfléchie par lui-même et devient à son tour un influenceur pour son entourage.
Mais encore plus, en dispensant une idée reçue le manipulé conforte cette idée dans son esprit qui prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure des répétitions. Au final le manipulé oublie ce cette idée lui a été soufflée par quelqu’un d’autre et se l’approprie à son propre compte. Si vous le lui demandez, il vous dira que c’est ce qu’il pense depuis sa plus tendre enfance.
Vous allez me dire qu’il est normal pour chacun de nous d’emmagasiner les informations pour les utiliser quand le besoin s’en fait sentir et c’est vrai. Mais celà ne doit pas vous empêcher de discerner si l’opinion que vous donnez est vraiment la vôtre.
Les idées toutes faites kidnappent une partie de votre capacité à raisonner, donc de votre cerveau.
Ils sont nombreux à vouloir réserver une place dans ce qui vous sert de matière grise et à notre époque ou nous baignons dans un flot informationnel continu il est impossible d’échapper à leurs pièges multiples et répétés.
Le « temps de cerveau humain disponible », selon l’expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay est la cible des tous les producteurs audiovisuels, les entreprises, les individus en quête d’un pouvoir médiatique, les pays, les causes qui veulent que l’on parle d’elles,… tout le monde en fait.
Vous n’êtes pas la seule victime de ce dictat de l’information. Ceux qui représentent une forme d’influence auprès de la population doivent savoir donner leur avis sur tous les sujets d’actualité. Politiques, élites, journalistes et même influenceurs, pour s’offrir une visibilité éphémère dans l’actu, se mettent à avoir un avis sur tout (et surtout un avis).
Nos amis politiciens, déjà kidnappés par une orientation politique et la ligne directrice de leur parti, se retrouvent ainsi à réagir à tous les sujets d’infos pour tenter de rassembler les citoyens qui vont voter pour eux. Il y a peu de personnes plus contraintes intellectuellement qu’eux. Quand un politicien se vante d’être un esprit libre, je suis immanquablement pris d’une crise de fou-rire inextinguible.
On ne sait pas pour combien de temps vous allez perdre une partie de votre capacité à raisonner.
Vous allez me dire que la crise des punaises de lit ne va durer que quelques semaines avant de disparaître. Même s’il faut se méfier des résurgences sur ce sujet, c’est peut-être vrai.
Mais combien de temps va durer le kidnapping de notre attention par l’antagonisme Istréalo-Palestinien ? C’est un sujet qui truste l’actualité et polarise les consciences depuis plus longtemps que notre arrivée dans ce monde ?
Et je ne parle pas du combat antique et fratricide entre religions dans lequel cette guerre s’est forgée. C’est un sujet qui formate nos capacités cognitives depuis si longtemps qu’il fait partie des acquis culturels de notre humanité. Pourtant tout avait commencé pour de bonnes raisons.
Qu’est ce que la religion ? Une liste de valeurs morales digne de rassembler une large population d’individus. Définir ce qui entre dans le cadre de l’acceptable ou du répréhensible est une excellente démarche civilisationnelle qui rentre parfois en conflit avec le cadre législatif et politique du pays, mais travaille pour la bonne cause.
Le problème c’est que pour faire la promotion de ces valeurs morales, on a décidé de polariser le débat en initiant le monothéisme qui professe qu’il n’existe qu’un seul dieu. Vous pouvez aujourd’hui constater les problèmes qui découlent de ce simple concept.
Ok, j’ai compris le problème, mais qu’est-ce que je peux y faire ?
Pas grand chose en vérité, sauf éviter de devenir vous-même un maillon de ce système de kidnapping de l’attention. Évitez de vous exprimer a chaud sur les sujets d’actualité. Le dictat de l’information ne doit pas passer par vous, même si vous pensez y gagner une audience plus large.
C’est vrai que cela semble productif pour asseoir votre influence sur les réseaux. C’est tellement facile de partager ces photos, vidéos et propos qui font immédiatement mobiliser l’attention des gens. Il est tellement tentant de prendre position dans la bataille « chocolatine / pain au chocolat » et de profiter de cette polarisation pour capturer quelques followers supplémentaires.
Mis à part que ces potentiels prospects ne sont pas vraiment qualifiés pour acheter vos produits, votre prise de position peut plus sûrement vous coûter des clients. Des gens qui ne vont certainement pas acheter quoi que ce soit chez un supporter de l’appellation “chocolatine”. « Non mais, ils ont une certaine éthique qui les empêche de frayer avec ces gens-là ».
Je ne parle pas du moment où, dans le feu de l’action, vous allez déclarer avec humour que toutes les boulangeries qui vendent des pains au chocolat devraient être dynamitées. Plus tard, ces propos pris hors contexte risquent d’avoir la peau de votre business ou de votre réputation. Et ceci dans le meilleur des cas. Car ceux qui vont démontrer ainsi que vous êtes un terroriste ou un dangereux anarchiste vont à leur tour capturer l’attention pour augmenter leur audience sur votre dos.
Croyez-moi, l’audience que vous allez acquérir en réagissant sur l’actualité ne vous servira à rien. Ne perdez pas votre temps à suivre les nouvelles du monde. Vous n’avez pas à donner votre avis sur tout. Concentrez-vous sur les infos qui sont en rapport avec votre business et travaillez une audience sur la qualité et la valeur ajoutée de vos propos pour cette cible.
Dans votre intimité, vous pouvez dire ce que vous pensez, en sélectionnant bien ceux qui vont rebondir sur vos discours. Mais publiquement évitez de prendre parti sur un sujet qui peut vous coûter cher au final.
Refusez que votre cerveau, ou votre business soit kidnappé par l’actualité ! Vous devriez vous en porter bien mieux.